Auteur d’une œuvre abondante, André Dhôtel (1900-1991), malgré le succès public considérable de son roman Le pays où l’on n’arrive jamais, couronné en 1955 par le Prix Femina, ne s’est jamais imposé comme le romancier majeur qu’il fut. On vit en lui avant tout un écrivain régionaliste, chantre des Ardennes mystérieuses et éternelles. Il faut dire qu’il sembla toujours plus ou moins en marge de son temps. Alors qu’il traversa le XX^e siècle et en subit, comme tant d’autres, les vicissitudes, il serait vain, cependant, d’en chercher trace dans une œuvre qui a préféré à l’Histoire les histoires — ces histoires dont André Dhôtel était si friand, lui qui se voulait avant tout conteur. Son écriture romanesque, ainsi contaminée par l’art du conte, le fit envisager comme un écrivain qui s’adressait avant tout au jeune public. Autre façon de le maintenir éloigné d’une histoire de la littérature marquée, dans les décennies qui suivirent la Deuxième Guerre mondiale, par l’aventure du Nouveau Roman. C’est oublier que chez Dhôtel, comme le faisait remarquer Maurice Nadeau : « L’artiste est derrière l’enfant. Il le guide selon les recettes d’un art subtil et envoûtant. » Quelques grands écrivains ont estimé l’œuvre à sa juste valeur : Maurice Blanchot, Philippe Jaccottet, Henri Thomas… Ses lecteurs, quant à eux, lui restèrent fidèles. Et plus de trente ans après sa mort, Dhôtel nous parle encore — et de belle façon ! Traductions, rééditions, travaux critiques se succèdent désormais avec régularité. S’il résiste encore, comme il l’a toujours fait, c’est que son œuvre puissante satisfait le public sans jamais chercher à flatter ses attentes. Cet éternel jeune homme, proche des cancres et des amoureux de la nature, étranger à toute forme d’écriture du mal, tout à la fois non-conformiste et insaisissable, observe le monde sans en tirer de leçon péremptoire. C’est aussi en quoi son œuvre est précieuse.

ÉRIC SARNER

Dans ce même numéro, un cahier est consacré à Éric Sarner. Passionné par la diversité du monde et des êtres, ce poète et cinéaste n’a cessé de parcourir les pays et les villes, vérifiant en tout lieu que la magie pouvait « sortir toute nue du regard le plus attentif ». Oscillant entre prose et vers, ce voyageur au pas léger manifeste une extrême finesse dans l’art de saisir un paysage sonore ou visuel, un paysage humain. Sa justesse de touche est aussi celle d’un amateur de jazz dont les mots nous font entendre « la mélodie de soi / portée par tous les autres ».